Depuis quelques temps, j’avais vraiment envie de recueillir le témoignage du community manager d’un “gros” site e-commerce spécialisé. J’ai la chance de recevoir aujourd’hui Cédric Pitiot, community manager pour Leroy Merlin.
Issue d’une formation centrée presse écrite, Cédric souhaitait initialement devenir journaliste mais une bonne opportunité en community management s’est présentée. Etonnant ? Pas tant que ça…
Comment Cédric rédige les conseils pour les amateurs de bricolage ? Comment alimente-t-il le forum ? Comment anime-t-il l’impressionnante communauté de passionnés de bricolage sur les réseaux ? Comment gère-t-il sa mission au quotidien ? Explications :
– Qui es-tu ?
Je suis originaire de la région stéphanoise. Le bac ES en poche, j’ai intégré Sciences Po Lyon, section Politique et Communication. Mon projet professionnel était alors de devenir journaliste.
À la fin de mes études, je suis parti m’installer dans le Nord, à Lille et j’ai eu beaucoup de mal à trouver du travail : pas de réseau, pas d’expérience de la recherche d’emploi et, surtout, des places très, très rares.
Au départ, je ciblais plutôt la communication institutionnelle et la presse papier et je me suis retrouvé un temps manœuvre sur les chantiers !
Dans cette période difficile, c’est un membre d’une communauté en ligne qui m’a apporté le coup de pouce. Nous étions inscrits sur le même forum de supporters des Verts de Saint-Etienne. Lors d’une rencontre en marge d’un match, il m’a proposé de postuler pour www.leroymerlin.fr, où des profils en dehors du commerce et marketing pur étaient recherchés. J’ai commencé par un premier poste de quelques semaines pour un remplacement avant qu’on me propose d’assister le responsable de la pédagogie (aide au choix, aide à la mise en œuvre…). C’était en 2006.
– Pourquoi et comment es tu devenu Community Manager ?
Je fréquente des forums de discussion depuis la fin des années 90, principalement sur le sport, ma grande passion. Les premiers, pour moi, étaient sur Caramail : ça commence à dater ! Mine de rien, c’est une expérience inestimable, qui permet de traiter au maximum chaque membre de sa communauté comme une individualité et non une “chose” informe. Mon côté plutôt raisonnable et “tête froide” m’a souvent transformé en modérateur bénévole, une première passerelle vers le travail d’administrateur que j’occupe aujourd’hui.
Le poste de responsable des communautés sur Leroymerlin.fr s’est libéré début 2009. Ma mission de départ en tant que concepteur rédacteur avait déjà pas mal glissé sur le terrain de l’UGC, puisque j’avais mis sur pied la politique de traitement des avis clients sur les produits et la gestion de ceux-ci au quotidien. J’avais également participé à la mise en ligne de la nouvelle solution pour le forum. C’est ma polyvalence qui a fait qu’on m’a confié ce poste qu’on n’appelait pas encore vraiment community manager : rédacteur, créa à mes heures perdues, attentif à la mise en forme, gros lecteur et très intéressé par le sujet…
– Quelles sont tes missions en tant que CM ? Quelle est ta journée type ? Comment t’organises tu ?
Je suis en charge d’à peu près toutes les initiatives communautaires et d’UGC sur notre site (Forum d’entraide en bricolage, avis des clients…), ainsi que de la page Facebook. Le fait de naviguer sur plusieurs plates-formes impose une certaine discipline. J’essaie au maximum de segmenter la tâche, afin de ne pas m’éparpiller.
Généralement, je commence la journée… au petit-déjeuner, avant d’aller au bureau. Je regarde si j’ai reçu des alertes mails et je “scanne” un peu ce qui s’est passé sur les forums et la fan page. La capacité de réaction et la rapidité d’action sont prépondérants en cas de problème. Au bureau, mes premières tâches sont donc en lien avec ce premier repérage : répondre aux messages reçus de mes principaux contributeurs du forum, à ceux des fans puis le suivi des chiffres : trafic, inscriptions…
L’après-midi, je le consacre le plus souvent à la gestion des avis d’internautes. Il faut savoir que beaucoup de clients utilisent encore ce module pour prendre contact avec le site ou l’enseigne. Mon rôle est donc de faire le pivot entre nos équipes produits ou de relation client. C’est un domaine méconnu du métier, mais c’est vraiment passionnant. Le retour apporté par les internautes nous permet d’améliorer ou corriger les fiches produits, de remonter des infos décisives pour l’innovation ou la qualité et, parfois, de récupérer des situations de fort mécontentement pour le client. Ce travail s’effectue à la marge, mais est très gratifiant.
Le temps restant est consacré à la gestion du planning : l’animation EST la moelle du métier.
Évidemment, je ne suis pas seul sur la question, en particulier sur la fanpage, surtout pour les temps forts en matière d’animation, même si un peu d’aide supplémentaire ne serait pas de trop pour mener à bien toutes nos ambitions.
– Quelles difficultés rencontres-tu ?
Personnellement, la principale est d’avoir beaucoup de mal à décrocher. Il est possible d’être connecté en permanence. Le boulot te rattrape dès que tu ouvres ta boîte mail. Si une animation importante est en cours, impossible de complètement couper le soir ou le week-end. Je me suis fait opérer fin octobre, une opération lourde. Le soir-même, j’avais déjà repris l’iphone dans le lit d’hôpital.
Ensuite, concernant le job en lui-même, le plus perturbant peut être le fait que les communautés ou les réseaux sociaux sont quelque chose de particulièrement à la mode chez les décideurs. Facebook, par exemple, a si rapidement envahi le quotidien qu’on a tendance à penser qu’il suffit d’y aller pour que ça marche. Ce n’est pas toujours le cas. Et c’est aussi une belle sal…rie techniquement ! À ce niveau, quitte à passer pour un peu réfractaire au changement, mon rôle est souvent de tempérer les ardeurs. Je ne crois pas au “vite fait, bien fait” pour des opérations d’envergure.
J’ai également l’impression qu’un peu trop d’experts, d’agences prétendent avoir des solutions à la limite de la magie alors qu’on est encore pour une part significative dans l’empirisme. Les règles du jeu ne sont pas encore totalement écrites. Une adaptation est nécessaire selon le profil de l’entreprise que l’on représente. Nous sommes une enseigne de bricolage, pas un vépéciste, ni un développeur de jeux vidéos. Quelque part, le community management doit être le reflet de ce que l’entreprise pense être et de l’image qu’elle veut montrer. Pour nos clients et nous, le bricolage est à la croisée entre la nécessité et la passion : les valeurs que Leroy Merlin veut transmettre sont celles d’une enseigne capable d’aider, d’accompagner et d’être pédagogue. Dire que “tout est possible” sans pour autant tomber dans le “tout est facile à faire”.
Le tatonnement est donc encore présent. Par exemple, si la fanpage des Lapins Crétins offre un fond d’écran à ses fans, elle a des milliers de likers. Si je fais pareil, sans pour autant sortir tambours et trompettes, ça crée un mini bad buzz. Mais si nous proposons quelque chose en lien avec notre domaine, le succès est au rendez-vous. Notre public de bricoleurs sur le forum a besoin de concret, de choses à toucher. Le virtuel ne lui suffit pas : les rencontres que nous proposons IRL entre nos passionnés sont toujours de grands moments.
– Quels outils utilises-tu dans le cadre de tes missions ?
Je ne suis pas un ayatollah des outils pour les outils. Ce qui m’importe, c’est le contenu, quelle que soit la plate-forme. Leroy Merlin recherche avant tout un maximum de qualité, avant la quantité. Quand on laisse les gens s’exprimer, c’est fou comme ils ont des choses à dire, que ce soit dans leurs écrits, leurs photos ou leurs vidéos. Nous avons des réalisations montrées dans les albums photos proprement hallucinantes ! J’invite tout le monde à aller voir, par exemple, l’album d’une participante du forum qui a réalisé elle-même un chalet entier !
Nous publions les forums sur une plate-forme libre, MyVietNam. Le système est en général amélioré une à deux fois chaque année. Ce travail est effectué en lien avec un chef de projet technique et un développeur prestataire. Dans ces phases de développement, il est extrêmement important d’impliquer la communauté : recueillir ses besoins, lui présenter le projet, lui et, si possible, lui faire bêta-tester.
Pour les avis, nous sommes passés l’an dernier d’une solution maison peu adaptée (un simple système de commentaires) à la mise en place de l’outil proposé par Bazaar Voice et nous en sommes très satisfaits. Le système est souple, efficace et très performant sur la remontée d’infos.
Plus Facebook et quelques outils . Et puis nous avons plein de projets, mais c’est top secret.
– Comment vois-tu l’avenir du job ? Comment va-t-il évoluer ?
Un métier qui commence à être caricaturé a sans doute de l’avenir ! Par contre, il va devoir se professionnaliser, et rapidement ! Quand je vois que des entreprises, de taille importante voire très importante, recherchent des stagiaires avec pour mission de “définir et mettre en œuvre la stratégie communautaire de l’enseigne”, je suis vraiment scandalisé. Il n’est pas possible de ne vouloir mettre qu’un orteil dans le communautaire. La bonne nouvelle, c’est que cette relation directe qui se tisse de plus en plus avec clients, consommateurs, amateurs, passionnés (…) est profonde et s’ancre dans leurs pratiques à vitesse Grand V.
Le principal obstacle reste que, bien souvent, l’impact du community management est difficilement chiffrable en monnaie sonnante et trébuchante. Dans l’idéal, dans dix ans, nous serons tous reconnus et super bien payés. Dans le pire des cas, on aura décidé qu’en fait, nous étions des imposteurs et nous serons tous au chômage, dépressifs et gros joueurs de WoW. Ou alors, nous mourrons tous en 2012. ^^
– Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui aimerait devenir Community Manager ?
Beaucoup lire, participer à un maximum de communautés à titre personnel. Passer du temps à connaître les spécificités de son entreprise, car ce sont elles qui détermineront le ton à employer dans son animation.
Ensuite, ne pas foncer tête baissée et savoir faire preuve de bon sens en permanence.
Enfin, ne jamais perdre de vue que la communauté, ce sont ses participants et ses visiteurs, pas son community manager. On peut influer sur un certain nombre de choses, mais il est interdit d’oublier que l’on s’adresse à des vrais gens, fusse-ce leur personnage virtuel. Bref, rester humble.
Merci Cédric pour tes explications et n’hésitez pas à lui poser vos questions, il vous répondra !
Au passage, suivez Leroy Merlin sur Twitter et rejoignez la communauté de passionnés du bricolage sur Facebook.