A l’occasion du Webcampday à Angers, j’ai eu l’honneur de participer à une table ronde sur l’Influence Marketing avec Delphine Foviaux, organisatrice de l’événement, Yannick Pons de Reech et Axelle Marot de Gémo, le média Courrier de l’Ouest m’a sollicité pour une interview. Les questions qui m’ont été posées portent donc sur l’Influence Marketing et ses enjeux en 2019... Qu’est-ce que l’Influence Marketing ? Quelles entreprises utilisent ce levier ? Quels sont leurs budget pour des campagnes avec les influenceurs ? Quelles sont les bonnes pratiques, notamment en matière de transparence ?
1. Pouvez-vous définir l’Influence Marketing ? Diriez-vous que cette nouvelle pratique a révolutionné les relations entre marques et consommateurs ?
L’Influence Marketing est une technique marketing consistant à identifier des personnes influentes et à les faire collaborer avec une marque pour accroître sa visibilité. Nous parlons d’influence depuis de nombreuses années, un des précurseurs sur le sujet, Philip Sheldrake, consultant et auteur du livre The business of influence (2012), mettait en avant le rôle de l’influence sur les comportements de l’audience. Il en parlait en ces termes : “Vous avez été influencé quand vous pensez quelque chose que vous n’auriez pas pensé, ou que vous faites quelque chose, que vous n’auriez pas fait.” Plus récemment, Lee Odden, un célèbre influenceur américain, définissait l’influence de cette manière : “L’influence doit se définir sous le prisme de la personne de l’influenceur : c’est une personne qui, sur un sujet donné, a acquis une crédibilité particulière dans son réseau et ce faisant, a développé une capacité à influencer les membres de ce réseau.”. Nous vivons aujourd’hui dans une ère d’influence donc oui, je dirai que les relations entre marques et consommateurs sont réellement impactées par les influenceurs. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons écrit un livre sur le sujet avec Guillaume Doki-Thonon, Fondateur et CEO de la Brand Tech Reech, intitulé “Influence Marketing – Stratégies des marques avec les influenceurs” aux éditions Kawa.
2. Sait-on quelle proportion d’entreprises s’y adonnent ? Quels budgets lui consacrent-elles ? Quelles sont les retombées générées ?
Aujourd’hui, la plupart des entreprises jugent le marketing d’influence comme “stratégique” et prévoient d’investir davantage dans ce levier à l’avenir. Même si les pratiques de rétribution des influenceurs sont encore souvent associées à la dotation de produit, elles vont de plus en plus vers une vraie rémunération pour des campagnes. On sait que la moitié commence à valoriser ce travail de création des influenceurs. D’après l’étude réalisée par Reech auprès des annonceurs du Paris Retail Week en Septembre dernier, près de trois quart des annonceurs prévoient une augmentation des budgets confiés par rapport à l’année précédente.
Concernant les retombées des campagnes d’Influence Marketing, nous pouvons dire qu’elles sont multiples : en visibilité pour développer et renforcer l’image d’une marque, en engagement pour accroître les interactions de ses cibles sur les réseaux sociaux, en connaissance client pour récolter des datas sur ses prospects et clients, en taux de conversion pour améliorer ses ventes, en Earn Media Value pour optimiser son ROI… Et il faut ajouter à ça la valeur du contenu créé, qui peut être réutilisé de plein de manière différentes!
3. Qui sont ces influenceurs ? Quels réseaux utilisent-ils ? Quelles sont leurs thématiques de prédilection ?
La dernière étude de Reech, sur les influenceurs et les marques, dresse le portrait de l’influenceur français type. il a entre 1000 et 50 000 abonnés, entre 19 et 30 ans, parle de lifestyle et utilise Instagram.
Premier point : la taille de la communauté. Si on regarde la taille des communautés derrières les influenceurs, la moitié d’entre elles sont composées de moins de 10.000 membres. Seul 10% des influenceurs disposent d’une communauté de plus de 100.000 membres. A noter que 50% des influenceurs à plus de 100.000 membres ont plus de 4 ans d’ancienneté. Normal, dans la plupart des cas, une communauté se construit sur le temps.
Deuxième point : les réseaux sociaux utilisés. Depuis l’année dernière, le blog a laissé la première place du podium à Instagram. La tendance se confirme cette année. Instagram est le réseau préféré des influenceurs à la fois en termes d’engagement mais également aussi en termes de premiers contacts avec les annonceurs et marques.
Troisième point : les thématiques abordées. Sans grosse surprise, ce sont les thématiques lifestyle, mode et beauté qui sont les plus plébiscitées.
4. Pourquoi leur message porte-t-il davantage qu’une campagne publicitaire classique ?
Ces dernières années, les annonceurs se sont bousculés entre les campagnes display et les activations Social Media. Les règles de la communication sont bouleversées, ce qui provoque un sentiment de saturation des consommateurs qui n’ont jamais été aussi sollicités sur le digital. En témoigne la forte utilisation de bloqueurs de publicités… Les consommateurs font davantage confiance aux messages des influenceurs par rapport à des publicités diffusées par des marques. Et il n’y aura jamais de meilleur prescripteur qu’une personne de confiance ! La plupart du temps, les influenceurs cherchent effectivement à rester authentiques et en phase avec leurs convictions personnelles, ils ne sont pas d’accord pour travailler avec n’importe quelle marque. En effet, ils acceptent de collaborer avec elles s’ils aiment leurs produits, si ces derniers sont de qualité et répondent à un besoin particulier, ou s’ils sont en accord avec les valeurs de la marque. Ce sont les deux critères les plus décisifs pour lancer un partenariat avec cette marque. Attention, il faut nuancer cette réponse en disant qu’un phénomène de lassitude vis à vis des influenceurs apparaît. Celui-ci est lié à des campagnes comportant des contenus pas assez originaux et des messages trop répétitifs publiés par certains influenceurs. Pour le contrer, les marques devront être toujours plus innovantes et créatives !
5. Comment ces partenariats se traduisent-ils (placement de produit, codes promo, rémunération, cadeaux…) ?
En pratique, le placement de produit est encore le type de partenariat le plus utilisé par les influenceurs et le plus proposé par les marques, loin devant le partage de code promo, le relai d’information et les opérations de co-création. Cependant, ce dernier type de partenariat est à privilégier car les influenceurs l’adorent. Ils aiment être davantage impliqués dans les partenariats et se sentir associés plus ou moins étroitement au développement d’un nouveau produit. Nous parlons par exemple de collection capsule lorsque plusieurs produits ou services sont créés par l’influenceur pour une marque (mode, déco, etc). Les avantages de la co-création sont nombreux: une exposition importante de la marque pendant le processus, une association de la communauté de l’influenceur pendant la création, une mise en avant des compétences de l’influenceur, ainsi qu’un pouvoir de prescription renforcé.
Un exemple avec Gémo qui a d’ailleurs participé au WebCampDay cette année. L’enseigne a organisé un atelier de co-création avec 15 clientes qui sont aussi mamans. L’objectif est de découvrir leurs avis, avoir leurs retours sur une collection pour les petits enfants et concevoir un dressing d’été pour partir en vacances.
6. Ces pratiques peuvent ressembler fortement à de la publicité déguisée… Quel crédit apporter à un conseil lorsqu’il est rémunéré, et donc forcément biaisé ? Que dit la réglementation en matière en transparence ?
Certaines campagnes d’Influence Marketing manquent de transparence, de trop nombreuses collaborations avec des influenceurs ne sont pas clairement indiquées. Des influenceurs ont récemment été épinglés pour avoir manqué d’honnêteté sur la nature commerciale de leurs publications. Nous avons tous en tête des post sur des réseaux sociaux entretenant un flou artistique entre vie personnelle et logique promotionnelle, sans aucune référence à un quelconque partenariat publicitaire. Ces influenceurs entretiennent ainsi une certaine ambiguïté qui n’est plus tolérable… Consciente que le marché a grandi rapidement et de façon anarchique, l’ARPP, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, a édicté un code de bonnes conduites…
L’ARPP est l’organisme qui régule la publicité en France. Depuis l’année dernière, elle met en avant un certain nombre de règles de bonnes pratiques pour les partenariats entre les marques et les influenceurs. Pour l’ARPP, un influenceur (blogueur, vlogueur, etc.) est un individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie. Depuis cette date, les influenceurs peuvent directement adhérer à l’ARPP dans le but de les aider dans leurs collaborations avec des marques pour la publication de contenus (placement de produits, participation à la production d’un contenu, diffusion d’un contenu publicitaire, etc.). Ils peuvent se baser sur une vidéo pour mettre en place leur collaboration avec des marques en toute transparence.
7. Quelles bonnes pratiques conseillez-vous aux marques et aux influenceurs pour éviter les dérives et abus ?
La règle de base présentée par l’ARPP concernant la transparence est la suivante : il faut que la collaboration commerciale soit portée à la connaissance du public de manière explicite et instantanée. La collaboration doit être comprise immédiatement par les consommateurs, sans attendre la fin d’une vidéo par exemple. Elle doit être exprimée dès lors qu’il existe des engagements réciproques, quand l’influenceur s’engage par exemple à publier un contenu en contrepartie d’un paiement, d’un cadeau ou d’une invitation… Les expressions à utiliser de préférence sont “en partenariat avec” ou “sponsorisé par”. Au contraire, les influenceurs éviteront les termes qui entretiennent le flou comme “sponso” ou “ad”.
Pour encadrer les partenariats commerciaux et compléter les recommandations de l’ARPP, il est important d’établir une charte de collaboration “influenceurs” et même parfois élaborer un contrat avec ces derniers. La charte de collaboration permet d’exprimer les engagements des influenceurs et des marques. Son objectif : créer une relation transparente et professionnelle avec les partenaires et leurs audiences. Le contrat écrit permet de cadrer davantage les collaborations. Je vous conseille d’aller voir la charte du groupe Accor, un des pionniers en la matière.
8. Enfin, pouvez-vous donner un exemple de campagne qui vous semble particulièrement réussie ?
La campagne de Knorr lancée pour le lancement de ses soupes “comme à la maison” est particulièrement réussie. L’objectif était multiple : relancer ses ventes, développer la notoriété de ce nouveau produit et toucher une nouvelle cible : les petits foyers, 20-49 ans, urbains et actifs. Une cible qui se préoccupe davantage de ce qu’elle consomme… La marque a utilisé un symbole fort de l’imaginaire collectif associé à la naturalité, à la praticité et l’authenticité : le Milkman. Soupman est alors crée pour incarner la marque et jouer de manière implicite avec les notions de bon, de sain et du “fait maison”.
Après une première phase consistant à créer la surprise en livrant les différents ingrédients présents dans les recettes de ses soupes, la marque a sollicité des influenceurs. Des kits de création comprenant bloc-notes, carnets, ustensiles et vaisselle, leurs sont envoyés. Le but : produire des contenus mettant en scène les soupes et leurs ingrédients. 45 influenceurs “food, healthy, cuisine” sont mobilisés et 122 publications sont effectuées, 45 posts Instagram et 77 Stories. Pour quels résultats ? 590 000 personnes touchées et 53 000 engagements comptabilisés soit un taux d’engagement de 3,8%. La campagne est passée au Journal de 20H de TF1 le 30 décembre. Cette campagne est d’ailleurs présentée dans le livre que nous avons écrit avec Guillaume…
“Influence Marketing : Stratégies des marques avec les influenceurs” aux Editions Kawa.